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2015-02-04 | Readers 2169 | Share with your Twitter followers Share on Facebook | PDF

La révolte en Turquie ... éveil ou derniers sursauts ?


La révolte en Turquie ... éveil ou derniers sursauts ?

Que représentent ces vagues de grogne en Turquie ? Un retour de bâton de la politique d’Erdogan en Syrie ? Un mécontentement face à des mesures gouvernementales ? Ou autre chose ? Tout a commencé le 29 mai 2013, quand quelques centaines de manifestants ont occupé la place Taksim pour protester contre un projet immobilier de luxe visant à détruire ses 600 arbres et à transformer cette place – symbole de la contestation (notamment après le massacre des manifestants du 1er mai 1977) et « porte culturelle » de la ville – en un centre commercial sous la forme d’une caserne ottomane reconstruite.

La brutalité policière employée pour les déloger mit le feu au poudre et embrasa le pays au point de faire de ce mécontentement marginal minoritaire un vaste mouvement dans plus de 70 villes du pays, uni pour dénoncer l’autoritarisme du chef de gouvernement. L’emploi démesuré de grenades lacrymogènes et incapacitantes (GSS), de balles en caoutchouc (Stinger), de coups de matraque et des canons à eau dans laquelle de l’acide (Jenix) a été versé, provoqua d’abord la solidarité de dizaines de milliers de sympathisants puis l’implication de différents groupes sociaux, politiques du pays. Le bilan des affrontements au bout de 3 semaines s’éleva à 4 morts, 7800 blessés (dont 59 graves), 400 disparus et des dizaines de milliers de personnes arrêtées, en vue d’être jugées et inculpées.

Comment une manifestation d’écologiques au cœur d’Istanbul a-t-elle pu se transformer en une fronde contre le pouvoir du 1er ministre turc Erdogan ?

1)Qui est descendu dans la rue ? Plusieurs points attirent l’attention

a)Le brassage très varié des contestataires, tant sur le plan politique (présence des ultranationalistes, des conservateurs de droite et de gauche, des militants d’extrême droite et d’extrême gauche, des socialistes, des marxistes, des anarchistes, des libertaires, des écolos, des Laïques et des nationalistes se revendiquant d’Atatûrk) que sur le plan social (artistes, intellectuels, supporters de club de football rivaux (voire ennemis), représentants d’Alévis*, de syndicats d’ouvriers, du secteur public et des professions libérales se côtoient). Absents au début, les Kurdes manifesteront un mois plus tard.

b)L’utilisation bien contrôlée et organisée des « réseaux sociaux ».

c)Le caractère spontané du mouvement à ses débuts (révélateur d’une société civile activeet développée) vite rejoint par de petites organisations politisées, bien organisées, de tout bord (vestiges des époques politiques précédentes ?).

d)La rapide extension de la révolte dans tout le pays malgré le fait que la Turquie est un Etat de droit régnant avec une justice qui fonctionne.

e)A la différence des « Printemps arabes », ils contestent un dirigeant démocratiquement élu, qui a remporté trois élections législatives (la dernière avec 50% des voix), présidé une période de 10 ans de croissance économique et de stabilité politique et ouvert des négociations de paix avec les Kurdes mettant fin à une guerre civile meurtrière.

f)La violence de la répression qui ne laisse place à aucune contestation.

2)Quelles sont les causes évoquées de cette révolte ?

a)Un ralentissement économique (une chute de croissance de 9,2% en 2010 à 2,2% en 2012).

b)Des projets d’urbanisme grandioses (comme la construction d’un 3e  aéroport géant, d’un 3e pont sur le Bosphore, d’un 3e canal reliant la mer Noire à la mer Marmara, d’une mosquée géante à Camlica)  accompagnés de vastes opérations immobilières (comme les rénovations de  quartiers déshérités en vue de les transformer en quartiers de luxe) qui ne profitent qu’aux proches du parti et de la famille d’Erdogan.

c)La dénationalisation de pans entiers de l’économie du pays, la plaçant entre les mains du FMI et de la Banque mondiale.

d)La mise à l’écart des Laïcs kémalistes et d’autres milieux qui voient leurs acquis disparaître  progressivement ainsi que leur statut.

e)Les attentes déçues des Alévis* qui espéraient au moins une reconnaissance de leurs droits, avec la venue au pouvoir du parti islamique de l’AKP. La libération des coupables de l’incendie du 2 juillet 1993 (qui avait causé la mort de 33 Alévis) et l’appellation du 3e pont du nom du sultan ottoman Selim 1er qui massacra les Alevis au XVIe siècle, n’ont fait qu’aggraver la situation.

f)La crainte de l’islamisation de l’Etat turc à cause de quelques mesures prises comme la permission du port du voile dans le secteur public, la limitation de la vente de l’alcool à certaines heures et en certains lieux). Ou à cause de la présence des « takfiris » (tels qu’« an-Nosra ») au sud du pays que certains accusent  (à raison) d’être à l’origine de l’attentat du 10 mai 2013 à Rihaniyya.

g)En fait, la cause qui fait l’unanimité est le pouvoir oligarchique d’Erdogan, la prise de contrôle de son parti, depuis 2008-2009, de la Haute Fonction Publique, de l’Armée et de la Justice, sa mainmise sur le développement économique du pays, favorisant les entreprises qui leur sont favorables, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays (comme en Irak, au Mali, Tanzanie..), ses restrictions de la liberté de presse et d’expression, sa volonté d’utiliser le processus de paix avec les Kurdes pour renforcer sa propre autorité.. Enfin ses visées personnelles sur la présidence de la République avec des pouvoirs élargis.

3)Alors que représente cette révolte ?

Un mouvement laïco-républicain opposé à un gouvernement islamique ? Une alternative politique à Erdogan ? Cela n’en a pas l’air. Des manifestations de mécontentement et de frustration d’une moitié de la population qui n’a pas voté pour Erdogan et qui ne voit pas s’appliquer sur elle les règles de la démocratie ? Assurément ! Une prise de conscience de vers où Erdogan est en train d’entraîner le pays, dans le giron américano-sioniste ? Ou derniers sursauts politiques de militants de formations d’un autre temps ? L’avenir le dira.

En tout cas, elle met en évidence les ambitions démesurées du chef du gouvernement avec son parti, sa stratégie pour imposer un pouvoir sans partage et réaliser les desseins des Etats-Unis et de l’entité sioniste de faire de la Turquie un pays allié, néolibéral, néo-ottoman, recouvert de populisme islamique, légitimé par les urnes, pôle et locomotive économique et politique aux couleurs islamiques dans la région (et même en dehors), face à l’influence iranienne.

En cela, cette révolte résonne comme un avertissement pour ceux qui veulent l’entendre. Espérons que cela ne sera pas qu’Erdogan qui en tiendra compte pour neutraliser ces derniers noyaux organisés de la société turque !

La prochaine étape prévue est la tenue des élections municipales dans 7 mois, déjà lancées par Erdogan à la faveur de ces évènements.

C’est qu’elles devraient lui permettre, s’il les remporte, de modifier la constitution turque vers un régime présidentiel (un président avec des pouvoirs élargis, élu au suffrage universel). Il serait alors ce président et garderait les rênes du pouvoir.. A moins qu’il ne devienne la tête de turc des Occidentaux devant les échecs qu’ils ne manqueront pas de rencontrer dans la région !

La Turquie

1er pays d’Asie à l’Est de la Grèce, ayant 3% de son territoire en Europe.

Capitale Ankara

783 562Km2

~76 millions d’habitants {Turcs, Kurdes (~20%), Alévis (~15 à 25%), Arméniens (~200 000)} à 75% citadins

Musulmans (~96%  : 70 à 85%  sunnites hanafites ; 15 à 25 % Alévis ; Chrétiens (~0,6%) et quelques milliers de Juifs à

Istanbul)

Aperçu historique

1920 Fin de l’Empire Ottoman avec le Traité de Sèvres qui prévoit l’indépendance kurde et arménienne et le placement des pays arabes sous les mandats français et britannique.

1920-1923 Offensive armée de Mustafa Kemal Atatürk (nationaliste turc) contre ce Traité occidental.

1923 Traité de Lausanne qui trace les frontières actuelles de la Turquie. (Transfert des populations grecque et turque dans leur pays respectif d’origine, expulsion des derniers Arméniens (sauf d’Istanbul), intégration des kurdes et reconnaissance des minorités religieuses, sauf des Alévis).

1925 Répression de la révolte kurde qui se bat pour son indépendance.

1925-1950 Adoption de mesures vers la laïcité (adoption du code civil, interdiction de la polygamie, du port de l’habit religieux, adoption de l’alphabet latin, du jour de repos hebdomadaire le dimanche au lieu du vendredi, inscription, en 1937, de la laïcité dans la constitution turque (entrainant l’interdiction du port du voile dans les établissements publics, etc..).

1949 Reconnaissance de la création de l’entité sioniste.

1952 entrée du pays dans l’Otan.

1960-1963 Vagues de coups d’Etat militaires.

1977-1980 Violents affrontements entre différents courants politiques accompagnés de massacres.

1980 Coup d’Etat militaire (nationaliste turc) interdisant tous les partis.

1984 Début de la guérilla kurde menée par Ocalan et le PKK. Plus de45 000 tués et près d’un demi-million de personnes déplacées. Coût de cette guérilla pour l’Etat turc : près de 300 milliards de dollars. Périodes d’attentats et d’assassinats politiques.

A partir des années 1994, arrivée des Islamistes au pouvoir central en alternance avec des coalitions rassemblant la gauche (où les Alévis sont nombreux), le centre-droit et l’extrême droite

A partir de 2002, victoires électorales successives du parti AKP d’Erdogan. Période de stabilité et d’essor économique. Levée de quelques interdictions contre l’Islam et politique d’ouverture (« zéro problème ») avec les voisins, abandonnée à partir de 2011 (interventions directes en Libye et en Syrie).

*Les Alévis sont des Turcs musulmans, d’origine d’Asie centrale qui ont longtemps constitué le corps militaire d’élite des Janissaires jusqu’à leur dissolution en 1826. Ils croient en Dieu Unique, au Prophète Mohammed et en Ali mais ils ne prient pas, ne vont pas au Hajj.. Ils se réunissent dans des « cemevi » (au lieu des mosquées). D’influence soufiste, ils pratiquent une danse giratoire sacrée au rythme du baglama, le « semah ». Malgré leur influence sur les traditions spirituelles du pays, ils ne sont pas jusqu’à maintenant reconnus par l’Office des Affaires Religieuses de l’Etat turc qui ne financent que le culte sunnite à l’intérieur et à l’extérieur du pays).

www.lumieres-spirituelles.net     No52 – Ramadan 1434 – Juillet-Août 2013


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