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2019-10-23 | Readers 2367 | Share with your Twitter followers Share on Facebook | PDF

Les derniers jours de Muhammad


Les derniers jours de Muhammad

de Hela Ouardi

Ed. Albin Michel 2016

Cet ouvrage prétend être « une étude très fouillée des sources de la Tradition musulmane, en vue d’apporter un éclairage inédit sur les derniers jours de Muhammad », avec l’objectif de vouloir « extirper l’homme [le Prophète Mohammed(s)] enseveli sous la légende héroïco-religieuse et le restituer à l’Histoire, donc « au temps du monde ». » C’est-à-dire celui de désacraliser l’image du Prophète devenu selon elle atemporel en le ramenant à la dimension du plus commun des mortels avec ses vices et ses faiblesses.

Si l’auteur, une universitaire tunisienne, s’est intéressée à l’épisode final de la vie du Prophète(s), c’est parce qu’elle pense qu’il est révélateur de la véritable crise qui a mis en jeu la survie de l’Islam, entre ceux qui ambitionnaient de prendre le pouvoir terrestre avec ses richesses (influencés par la seconde période plutôt politique de la vie du Prophète à Médine) et ceux qui considéraient la mort du Prophète comme l’arrivée imminente de la fin du temps (privilégiant la vision apocalyptique des propos du Prophète à La Mecque). Ceux qui ont cru au Message divin légué par le Prophète(s) et qui ont cherché à continuer à l’appliquer après la mort du Prophète sont totalement passés sous silence.

Certains pourraient dire que cette démarche – qui n’est pas sans poser problème quand il s’agit de parler du Messager de Dieu(s) porteur d’un Message divin universel – a cependant le mérite de mettre à nu des comportements « compromettants » pour la mémoire de certains de l’entourage du Prophète, dont les deux premiers califes, en citant des sources sunnites et celui de soulever des questions qu’aucun sunnite n’osait poser ouvertement précédemment. Ou encore celui de déminer « le sentiment de culpabilité inconscient, fortement implanté dans l’impensé historique des musulmans » qui serait à l’origine de ce courant extrémiste takfiri apparu ces dernières années – en faisant cependant totalement abstraction de son contexte d’apparition.

Mais, est-ce suffisant de donner une forme narrative aux récits éclatés, caractérisés par un grand flottement, et aux versions divergentes voire contradictoires, pour réussir à réunir les morceaux du puzzle et à rétablir la réalité des faits ? Elle prétend soumettre les récits au feu de l’analyse critique. Mais quelle analyse critique ? En soulevant des questions à travers le prisme d’une vision matérialiste, agnostique du monde et des êtres humains, imprégnée d’une interprétation psychologique et psychanalytique occidentale des faits ? En confrontant des récits truffés de fausses informations à d’autres (principalement du Bihar al-Anwâr d’al-Majlisi et de deux orientalistes contemporains), sans même utiliser les outils, les méthodes et la prudence des grands savants religieux ?

Ce livre est dérangeant, voire malsain, pour plusieurs raisons. Il ne donne pas les moyens de distinguer le vrai du faux ; il expose plus l’avis personnel de l’auteur qu’il ne se place dans le registre de l’historienne ; il réduit la personnalité du Messager de Dieu(s) à un homme faible, influençable, plein de défauts, aux origines douteuses, entouré que par des gens déchirés par les passions, les convoitises et les rivalités féroces, accordant, de fait, une importance particulière à trois personnages (Aïsha, Abû Bakr et ‘Umar) pour le maintien de l’Islam, malgré une description peu flatteuse qu’elle en fait et annihilant totalement la famille du Prophète(s) (et en premier lieu l’Imam ‘Alî(p)) et ses compagnons sincères/purs. Comment compte-t-elle ainsi sauver les valeurs et les vies humaines comme elle le prétend ?

Il n’est pas étonnant qu’à la fin, l’auteur se demande « si le proto-islam prophétique était une religion ou une doctrine de la fin des temps, et si l’islam, la religion universelle que nous connaissons, n’a pas été inventé bien après la mort de son prophète, par Omar et par les califes omeyyades » en vue de « légitimer et affirmer le nouveau pouvoir politique ». Nierait-elle que l’Islam soit la dernière manifestation de la Religion Une de Dieu, révélée au Prophète Mohammed(s), en Miséricorde pour les mondes ?

www.lumieres-spirituelles.net     No100 - Rabî‘ I & II 1441 – Novembre-Décembre 2019

Citations* du livre «Les derniers jours de Muhammad»

†« Le récit de la réaction intransigeante de Muhammad à la construction de la mosquée dissidente de Dhirâr en dit long sur l’unitarisme qui sous-tend l’imaginaire musulman. L’idée d’unité en islam ne se manifeste pas seulement dans la foi en un Dieu unique, elle s’incarne aussi au niveau de l’ordre politique dans le refus de toute forme de contre-pouvoir ou de pouvoir parallèle. La communauté doit demeurer unifiée : toute velléité de rupture ou même d’écart doit être farouchement combattue. Le Prophète préconise dans l’un de ses hadiths que l’on assassine celui qui cherche à diviser la communauté quel que soit le rang de cet homme. »(p39)

†« Dans son discours de l’adieu, le Prophète prévient les musulmans de l’approche des discordes et rappelle les devoirs dus à sa famille : « Je vous ai laissé deux choses qui préserveront de l’égarement : le Coran et ma famille. » Curieusement cette phrase si favorable aux « gens de la maison » (ahl al-bayt) ne figure pas uniquement dans les textes shiites, on la trouve également dans des ouvrages sunnites.»(p54)

†« Les compagnons et les membres de la famille du Prophète sont quant à eux animés par la plus grande avidité. Cet ouvrage ne suffit pas pour aborder la vaste question de l’héritage financier du Prophète et les nombreuses querelles qu’il a suscitées entre ses proches. Des hommes comme Abu Bakr et ‘Umar sont souvent décrits dans maints passages de la Tradition comme des êtres plutôt vénaux. (…) Avec ‘Uthmân Ibn ‘Affân, le caractère ploutocratique du califat se renforcera davantage ; doublé d’un népotisme outrancier, il prendra des proportions si considérables qu’il causera l’assassinat particulièrement violent du troisième calife. Le Prophète ne se trompait sans doute pas en prédisant que ses successeurs seraient des traitres obèses. »(p91&p92)

†« La prédication eschatologique de Muhammad justifie ainsi en grande partie le projet de conquête orienté vers le Proche-Orient et Jérusalem en particulier. Les expéditions de Mo’ta et Tabûk illustrent cette aspiration à la Terre promise. Du moment que Muhammad est le Prophète de la fin des temps, il est naturel de le voir conduire ses convertis vers Jérusalem, où ils doivent attendre le Jugement dernier.

Dans ces conditions, on comprend que le Prophète ne pense pas à la désignation d’un successeur : ce serait une disposition inutile puisque la fin du monde est imminente. On pourrait même pousser la réflexion plus loin : puisque Muhammad est venu annoncer la fin des temps, pourquoi fonderait-il une nouvelle religion ? L’islam serait-il finalement une « invention » tardive bien postérieure à la mort du Prophète ? L’islam était-il une religion ou une « doctrine de la fin des temps » ? Ces questions sont vertigineuses.

Les premiers à comprendre que la mort de Muhammad n’est pas le signe avant-coureur de l’apocalypse sont sans doute Abû Bakr et ‘Umar. »(pp202-203)

†« A cela on peut ajouter un autre élément aussi intrigant : l’absence d’Abû Bakr et ‘Umar aux funérailles de Muhammad. L’absence des deux califes est en effet attestée par plusieurs livres sunnites. »(p214)

†« Mais revenons un instant sur la place occupée par Muhammad aux yeux des premières générations de musulmans, pour qui le Prophète n’était probablement pas l’objet d’un culte sacré. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le traitement subi par ses descendants directs qui sont tous morts assassinés ou dans des conditions obscures. Cette subversion originelle serait restée enfouie dans l’inconscient collectif des musulmans et expliquerait, à notre avis, comme un retour du refoulé, l’obsession du blasphème chez les musulmans aujourd’hui. C’est sans doute ce sentiment de culpabilité fortement implanté dans l’impensé historique des musulmans qui serait derrière le déchaînement passionnel que suscite aujourd’hui la moindre atteinte à l’image de Muhammad. »(pp220-221)

†« Ainsi, la fixation du texte du Coran et l’émergence du culte de Muhammad sous les Omeyyades étaient visiblement très liés à la légitimation et à l’affirmation du nouveau pouvoir politique. »(p223)

†« Malgré l’abondance des informations qu’ils contiennent, les livres de la Tradition se caractérisent par un grand flottement et ne donnent en fin de compte que des renseignements approximatifs. »(p227)

*Nous rappelons que les citations sont des reproductions telles quelles de passages du livre, sans correction de notre part.

www.lumieres-spirituelles.net     No100 - Rabî‘ I & II 1441 – Novembre-Décembre 2019


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